Le vice-consul by Marguerite Duras

Le vice-consul by Marguerite Duras

Auteur:Marguerite Duras [Duras, Marguerite]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 1965-12-31T23:00:00+00:00


On dit :

— Il s’ennuyait à Lahore, c’est peut-être ça.

— L’ennui, ici, c’est un sentiment d’abandon colossal, à la mesure de l’Inde elle-même, ce pays donne le ton.

Anne-Marie Stretter est libre. Le vice-consul de Lahore se dirige vers elle. On dirait qu’il hésite. Il fait quelques pas. Il s’arrête. Elle est seule. Ne le voit-elle pas venir ?

Charles Rossett voit que l’ambassadeur de France va vers le vice-consul de Lahore et qu’il lui parle. Ainsi a-t-il évité à sa femme de danser avec lui. A-t-elle vu ? Oui.

— Monsieur de H., votre dossier est arrivé la semaine dernière.

Le vice-consul attend.

— Nous en reparlerons, mais j’aimerais vous en dire déjà quelques mots…

Le regard est lumineux. Je suis à votre disposition. L’ambassadeur hésite, puis pose la main sur l’épaule du vice-consul de Lahore qui sursaute. L’ambassadeur continue à l’entraîner vers le buffet.

On dit : l’ambassadeur, le nôtre, vous avez vu ce geste, est un homme admirable.

— Venez… je vous rassure tout de suite… Moi, les dossiers, je n’y crois pas… d’ailleurs, n’exagérons rien, il n’est pas tellement tellement terrible votre dossier…

La main sur l’épaule se retire. L’ambassadeur demande deux coupes de champagne. Ils boivent. Le vice-consul ne lâche pas l’ambassadeur des yeux. Celui-ci paraît gêné par ce regard.

— Venez — ils vont dans le deuxième salon —, il y a trop de bruit ici.

— Si j’ai bien compris, mon ami, vous voudriez Bombay… Or vous ne pourriez pas, à Bombay, occuper le même poste qu’à… Lahore. Votre candidature ne serait pas acceptée, vous comprenez n’est-ce pas, c’est trop tôt, oui, encore. Tandis que si vous restez ici… le temps ne pourrait que jouer en votre faveur. Vous savez l’Inde est un gouffre d’indifférence dans lequel tout est noyé. Moi, si vous le voulez, je vous garde à Calcutta.

— Si vous voulez, monsieur l’ambassadeur.

L’ambassadeur paraît étonné.

— Vous renonceriez à Bombay ?

— Oui.

— Pour tout vous dire cela m’arrangerait. Et puis Bombay c’est tellement demandé…

L’ambassadeur doit trouver que dans les yeux il y a soit de l’insolence, soit de la peur.

— Vous savez, dit-il, une carrière, c’est mystérieux, plus on la veut, moins elle vient… Ça ne se fabrique pas, une carrière. Vous avez mille façons d’être vice-consul de France, vous voyez ce que je veux dire ? Lahore, bien sûr, c’est embêtant, mais si vous, vous l’oubliez, les autres l’oublieront aussi, vous comprenez ?

— Non, monsieur l’ambassadeur.

L’ambassadeur paraît vouloir s’éloigner du vice-consul. Non, il se ravise.

— Calcutta, vous ne vous y faites pas ?

— Je crois que si.

L’ambassadeur sourit.

— Je suis bien embarrassé… que va-t-on faire de vous ?

Le vice-consul lève les yeux. Insolence, doit penser l’ambassadeur, est le mot qui convient.

— Je n’aurais jamais dû venir aux Indes peut-être ?

— Peut-être. Mais il y a des remèdes contre la nervosité, contre… tout ce qu’on appelle ainsi, vous le savez ?

— Je ne sais pas.

Des femmes pensent : Il faudrait que l’une d’entre nous lui parle peut-être. Une femme pleine de sollicitude et d’intelligence qui s’adresserait à lui, et peut-être à son tour parlerait-il.



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